Manifestation d'art vidéo argentin
du 9 au 19 février 2008 - Rennes
En 1963 l'Argentine vit des moments de confusion politique; depuis la chute de Perón en 1955, avec la proscription de son parti et lui même en exil, la réalisation d'élections devient un problème de difficile solution. En 1962 un coup d'état militaire met fin au gouvernement de Frondizi, la Cour Suprême de Justice désigne José María Guido, à ce moment président provisoire du Sénat, comme nouveau président de la Nation, et de nouvelles élections présidentielles sont réalisées le 7 juillet 1963... avec proscription du péronisme.
1963 c'est aussi l'année de "6TV Dé-collage" (1) de Wolf Vostell à la Smolin Gallery de New York (mai) où il présenta pour la première fois une installation avec 6 postes TV, déréglés, brouillés... et le 14 septembre de cette même année la Galerie Parnass organise le grand événement "9 Nein Décollagen" dans neuf emplacements différents de la ville de Wuppertal; le public étant conduit en bus d'un lieu à un autre, y compris une salle de cinéma où l'on projetait "Sun in your head".
1963 c'est surtout l'année de réalisation du fluxfilm n°23, filmé en pellicule n/b 16 mm par le cameraman Edo Jansen sous la direction de Wolf Vostell dans son atelier de Cologne; l'idée étant de conserver sur support filmique (2) les effets produits par l'altération des différents réglages du poste télé; le titre donné par Vostell à ce film était "Sun in your head" (3), oeuvre fondatrice de l'art vidéo paradoxalement réalisée sur support filmique; paradoxe qui ne fait que souligner la volonté d'échapper à toute sorte d'enfermement que l'art vidéo manifeste depuis ses débuts.
C'est ainsi que la situation politique argentine s'introduit de manière inopiné dans ce que l'on considère la première oeuvre de l'art vidéo, puisque au moment où Wolff Vostell décida de dérégler son poste télé et filmer le résultat, le hasard voulut que dans le journal télévisé qui visait son objectif ils étaient d'actualité quelques événements liés à l'Argentine, plus précisément à la proscription de Perón et son parti au processus électoral.
Quiconque plongera son nez dans l'histoire de l'art vidéo sera confronté à "Sun in Your Head".
Le contenu des images n'a pas d'importance; on peux regarder la vidéo sans savoir qu'on parle de Perón, sauf pour un argentin, pour qui ça devient hautement significatif. La vidéo fait 6' 36" dont 1' 24" sont consacrées à l'actualité argentine, c'est ainsi qu'on peut voir Isabel Perón; une manifestation populaire avec des grandes pancartes sur lesquelles on peut lire "Perón", "Evita"; un défilé militaire; Eva Perón pendant son tour européen; un buste représentant Evita; des images de rue; Perón qui parle aux journalistes...
C'est pour tout cela que cette manifestation vidéo s'appelle "El Sol en tu Cabeza"
Les argentins aimons nous revendiquer comme étant les inventeurs, entre autre, de la confiture de lait, alors pourquoi ne pas prétendre être les pionniers de l'art vidéo politique grâce à cette apparition dans "Sun in your head"?
Plus sérieusement et sans avoir besoin d'être les pionniers de quoi que ce soit, la réalité politique du pays a une très forte présence dans l'œuvre d'un très grand nombre d'artistes.
Ce serait difficile, voir impossible de donner une spécificité quelconque à l'art vidéo argentin car, globalisation oblige, il a des éléments en commun avec l'art vidéo d'autres latitudes; mais il est sans doute marqué par les événements politiques et sociales de l'histoire récente du pays ainsi que par les contraintes liées à la situation économique, il y a donc quelques thèmes qui sont propres à l'Argentine ainsi qu'une économie de production qui est commune à toutes les économies de crise.
La dernière biennale de Venise a distingué avec son prix majeur l'artiste Léon Ferrari, argentin et auteur d'une ouvre fortement engagé du point de vue étique et politique. Il est important de signaler que Léon Ferrari a 84 ans et que sa dernière grande exposition à Buenos Aires (il y a 3 ans) déchaîna la colère des groupes catholiques ultra conservateurs qui manifestèrent devant les salles d'exposition , puis à l'intérieur et ensuite, comme à l'époque de l'inquisition, détruisirent des oeuvres; l'exposition fut fermée ce qui déclencha une énorme polémique autour de la censure et la liberté d'expression et un mois plus tard l'exposition réouvrit ses portes avec une phénoménale réponse du public.
Ceci pour dire que bien que la mode détermine que la politique et l'art fassent bon ménage aujourd'hui, pour les artistes argentins il s'agit de beaucoup plus que d'une histoire passagère.
La vie politique argentine s'est vue interrompu par des coups d'état depuis très longtemps; les militaires se croyaient la "réserve morale de la nation" et à chaque fois qu'ils considéraient menacés le substrat occidental et chrétien de la patrie ils intervenaient de manière de plus en plus violente, le paroxysme étant la dernière dictature militaire (1976-1983) dont nous gardons encore aujourd'hui des traces.
Cette empreinte de l'histoire récente sur l'art se manifeste dans des oeuvres qui évoquent la répression pendant la dictature (la torture et la disparition de personnes) et ses conséquences actuelles (les enfants kidnappés, appropriés comme butin de guerre et qui n'ont pas encore retrouvé leur identité) ainsi que des vidéos qui font écho aux événements plus récents tels que la crise économique et les émeutes de décembre 2001.(4)
Bien que les sources d'inspiration de ces oeuvres soient très spécifiques à l'Argentine, le traitement des images, le point de vue formel, rejoignent les procédés techniques et les modes de narration utilisés par d'autres artistes dans d'autres pays du globe.
A partir d'un point central, l'École Régionale des Beaux-arts, qui accueillira des projections et des vidéo installations, ce panorama de l'art vidéo argentin s'étendra sur plusieurs lieux qui permettront d'offrir une vision assez large de cet art, mêlant les générations, les genres et les formes.
Au delà des lieux traditionnellement dédiés à l'art, tels que musées et galeries, où il est normal et prévisible de trouver des oeuvres d'art vidéo, le promeneur pourra les découvrir (en suivant le guide du festival), ou bien se laisser surprendre par la présence inattendue d'une oeuvre d'art vidéo dans un lieu que rien ne semblait prédisposer à tel effet.
(1) Le titre de l'exposition était "Wolf Vostell & Television Decollage & Decollage Posters & Comestible Decollage".
(2) Il est important de signaler que Sony met sur le marché le premier modèle de caméra vidéo pour le grand public, Portapak, en 1965.
(3) La première exposition de Vostell à Paris avait eu lieu dans une galerie dont le nom était "Le soleil dans la tête".
(4) Une exposition "Art, vidéo et politique en Argentine" sera inaugurée le 31 janvier à 18h30 au Bon Accueil, elle aura lieu du 1er février au 1er mars.
Une projection/conférence sera spécialement consacrée à cette thématique le 14 février à 17h à l'auditorium de l'école des beaux-arts.
Gustavo Kortsarz
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El sol en tu cabeza
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